Battery
Operated: re: CORD
by Julie Hetu
Battery Operated regroupe trois artistes
qui se sont rencontrés au Royal Melbourne Institute
of Technology en Australie et œuvrent, depuis 2000,
dans le domaine de la musique, de la vidéo et de
l’art Web. Il est formé de Thomas Couzinier,
artiste français issu du Sound Art, de Bérengère
Marin-Dubuard, vidéaste d’origine française
vivant actuellement à Montréal et de Toby
Heys, artiste originaire du Royaume-Uni gravitant autour
du Net Art, qui a mis sur pied le projet re.CORD.
re.CORD : «
Conspiracy courier for the 21st century »
L’installation re.CORD est une construction
hybride érigée à l'aide des trois disciplines
précitées. C’est en réponse aux
technologies interactives que s’articulent les théories
critiques de Battery Operated sur l’espace urbain
et social d’où se dégagent les environnements
sonores qui nous sont proposés dans ce projet de
résidence. Cette installation multimédia repose
principalement sur les expériences sonores effectuées
par l’armée et recrée une atmosphère
de laboratoire bric-à-brac où seraient développées
des armes sonores. Elle rappelle les armes sonores mises
en action en 1984 dans l’adaptation par David Lynch
du célèbre roman de Frank Herbert Dune dans
lequel des clans guerriers se servent de leurs voix pour
combattre l’ennemi. La nature contrastée de
cette installation performative compose avec des concepts
d’interactivité qui fonctionnent sur des plans
de lecture dont l’intention diverge mais dont les
résultats semblent converger. D’abord, force
est de constater, que Toby Heys met l’accent sur le
concept de stratégie militaire qui pour sa part ne
trouve pas son intérêt dans l’interaction
mais dans la passivité. Il aborde ensuite la problématique
de l’œuvre interactive et de la participation
du spectateur. Celui-ci participe-t-il vraiment? L’artiste
s'en remet au bon jugement du spectateur sans intervenir
par son installation. Il met plutôt en question ce
type de dispositif en le remettant en œuvre. Le discours
– que laissent sous-entendre les gouvernements sur
le développement de l’équipement militaire
qui n’est pas voué à la destruction
massive mais utilisé comme outil de manipulation
du corps par l’utilisation de bruits, de fréquences
et de sons – nous laisse entrevoir le seuil entre
science-fiction et réalité, facile à
franchir dans ce domaine.
Ce projet a pour ambition de donner des
pistes de réflexions sur l’art de la communication
en évoquant les enjeux esthétiques, politiques
et culturels que soulève l’utilisation des
technologies de communications. Battery Operated érige
un espace dans l’espace, en construisant un laboratoire
à l’intérieur de la galerie et en rendant
un site Web interactif accessible au spectateur dans et
hors l’œuvre. Ce site Web peut être consulté
n'importe où dans le monde, établissant de
ce fait un réseautage gravitationnel où la
relation à l’objet s’étend hors
du lieu d’exposition. re.CORD ne remet pas en cause
le statut de l’objet mais sa nature et son contexte
d’interprétation critique.
Western stories
Le spectateur peut circuler
à l’intérieur d’une gigantesque
boîte noire qui s’est échouée,
non sans laisser de séquelles sur l’espace
avoisinant, dans la salle d’exposition de la Chambre
Blanche à Québec. La boîte noire, objet
enregistrant en continu l’information environnante,
s'apparente à un lieu où l’on peut capter
l’information et en interpréter son contenu.
Les objets, les bandes sonores et les images vidéo
donnent forme à « a modern way of telling »
comme nous le présente l’artiste. Un bureau
en piteux état, occupé quotidiennement par
l’artiste lors de l’exposition, est posté
à l’intérieur de cette boîte noire
disproportionnée et invite le spectateur à
entrer. La boîte noire semble s’être échouée
dans la pièce et y avoir levé le camp, ayant
de par sa chute détruit une partie du sol. Ce bureau
est le lieu d’une réflexion pseudo-scientifique
sur les théories reliées aux conspirations
internationales en réseau et s’affiche comme
un laboratoire militaire d’armement sonore (MAWL).
Paranoïa
en réseau
«Dans ce système
[de révolution numérique et de réseautage
généralisé], si nouveau qu’il
est encore difficile d’en évaluer l’impact
réel, la musique n’est plus une affaire d’objets
mais de pure circulation – d’où cette
nouvelle culture du troc entre musiciens, des remixages,
des enregistrements illégaux, des réinterprétations,
aussi bien que de la récupération de succès
underground dans des pubs de voitures […]. En considérant
l’histoire dans son ensemble, bien sûr, on constate
que cette notion de la musique en circulation n’est
pas nouvelle, [et c’est justement ce que veut nous
démontrer l’artiste en utilisant cet appareillage
« low tech »] et qu’elle ne diffère
qu’en termes de degré et de vitesse des traditions
orales d’avant les techniques d’enregistrement
(que ce soit dans l’Europe d’avant la Renaissance
ou dans l’Afrique précoloniale). Et si nous,
les enfants de la modernité, avons tant de mal à
nous adapter à la toute nouvelle fluidité
de la musique, c’est que nous l’avons longtemps
considérée comme un objet. »
Tout comme Toby Heys a
voulu le démontrer la « conspiration »
est issue d’une circulation des idées qui dans
le cas de re.CORD part du concept de paranoïa. Ainsi,
le ton est donné à cette funeste mise en scène
fictionnelle où le rapport au réel domine
les échanges qui s’y entretiennent.
L’esprit
d’entreprise
Le laboratoire de Heys
s’affaire à d’autres activités
connexes. Sa conception réfère à une
entreprise d’expédition. D’ailleurs,
pour souligner cette impression, des boîtes de transport
(des Parabox), qui sont estampillées du sceau FEDex,
jonchent le sol. Ces boîtes servent à expédier
des conspirations ou « a proposal of a stories telling
» tel que le conçoit l’artiste. On y
retrouve également une multitude d’informations
sur l’expédition des conspirations. De plus,
le site Web du même nom re.CORD rappelle le site d’UPS
(United Parcel Service). Il transmet une information détaillée,
même celle relative à l'emploi dans l’entreprise.
Le mandat y est décrit et des paraXamples nous permettent
de prendre connaissances des conspirations en cours qui
proviennent de diverses personnes ayant cru bon de partager
leurs histoires conçues comme des modèles
de conspiration (ex. : CIA, Confirms Nazis Worked for U.S.,
Government Mind-control Programs, Sony's Subliminal Message
Testing). Vous pouvez faire parvenir vos propres théories
sur la conspiration de votre choix au moyen d'un e-paranoïa
system. Ce prototype d’entreprise met l’accent
sur la circulation des idées. C’est par le
bouche à oreille qu’une simple fiction devient
une conspiration et c’est précisément
parce que l’expérience est fiction que tout
le monde peut en faire partie, souligne Toby Heys.
Le début
d’une nouvelle conspiration mondiale
Durant les deux années
précédant le moment où elle a échoué
sur le plancher de la Chambre Blanche, la Parabox (ou boîte
noire) a voyagé du Royaume-Uni jusqu’en France
en passant par la Hollande, le Canada, les États-Unis,
la Corée, la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande
et a terminé son périple en Australie. Dans
chaque pays, les collaborateurs ont déposé
dans la Parabox un texte ainsi que du matériel sonore
et visuel servant à élucider la conspiration
dont ils font mention. La boîte s’est malheureusement
échouée avant son arrivée en Australie.
La Parabox – contenant CD, vidéos, DVD, textes
et photographies – a alors été retournée
au studio de Battery Operated à la compagnie re.CORD
où la construction d’une nouvelle conspiration
mondiale va prendre forme. Toutes les informations servant
à élaborer cette conspiration mondiale sont
à votre disposition. Elles offrent un point de vue
tant ludique, que critique ou lyrique sur la société
actuelle. À vous de choisir. L’armée
en a pour sa part pris possession afin d'y poster son «
Military Audio Weapons Laboratory » (MAWL). Les bureaux
sont ouverts au public ou peuvent être rejoints par
le site : www.re-cord.net « a e-paranoïa for
all your internet needs and fears ».
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